Les légumes, nouvelles égéries de vos parfums ?

Oignon, fenouil, poireau... Non, nous n'allons pas parler cuisine aujourd'hui, mais bien des petits nouveaux du monde la parfumerie. Répondant à la quête de créativité du côté des parfumeurs et à l'envie de naturalité des clients, les légumes sont la tendance olfactive du moment. Si vous vous demandez comment un chou-fleur peut être séduisant, ou que vous hésitez à tenter les notes rosées de l'artichaut... cet article est fait pour vous ! 

Une tendance qui ne date pas d'hier

photo de légumes

Inédits, les légumes ? Pas tellement. Si cette tendance à la naturalité, à l'authenticité et à l'originalité agite en ce moment le monde de la parfumerie, ce n'est pourtant pas la première fois que ces matières premières naturelles se retrouvent dans vos flacons. Vous seriez surpris de découvrir que nombre de parfums contiennent des légumes dans leur composition : chez Bastille, par exemple, Pleine Lune contient du céleri ! Ne vous fiez pas aux apparences : grâce à son huile essentielle extraite à partir de ses graines, le céleri avec ses notes chaudes, épicées et puissantes trouve bel et bien sa place en parfumerie. Ce légume que l'on a plus généralement l'habitude de voir dans nos assiettes est même devenu dans les années 2000 une matière première naturelle très convoitée des parfums boisés. 

D'autres parties des fruits et légumes sont aussi utilisées en parfumerie. Ne soyez pas surpris de retrouver dans vos flacons des feuilles de tomates ou des graines de carotte ! Les feuilles de tomates offrent par exemple une facette verte, herbacée et fraîche aux parfums. Leur utilisation remonte aux années 80 avec la toute première fragrance de Sisley "Eau de Campagne". Accompagnée de jasmin et de muguet, la feuille de tomate vient apporter puissance, fraîcheur et un semblant d'air méditerranéen à ce parfum. La carotte quant à elle, s’emploie davantage pour ses notes boisées, fraîches et vertes, voire même poudrées et épicées. Son odeur poudrée assez proche de l'iris fait des graines de carotte l'alternative économique idéale pour remplacer "l'or bleu de la parfumerie" (l'iris coûte extrêmement cher : 50 fois plus que les graines de carottes, c'est vous dire !).

fenouil

Le fenouil, de la famille des ombellifères comme la carotte, apporte quant à lui un délicieux gout d’anis aux parfums - généralement "masculins". On le retrouve pour la première fois, dans la fragrance "Azzaro pour Homme" d'Azzaro en 1978, puis dans des parfums plus inédits et modernes comme "Patchouli Patch" de l'Artisan Parfumeur. Plus récemment encore, le fenouil s'est aussi introduit dans la composition de notre toute dernière eau de parfum, Rayon Vert avec ses facettes vertesanisées et épicées

Toujours les bottes dans le potager, les parfumeurs s'essayent aussi à d'autres légumes plus surprenants. On peut notamment citer le petit pois dont l'odeur terreuse, végétale et fraîche est répliquée notamment grâce à l'essence de galbanum.

betterave

On retrouve aussi ce côté terreux avec la betterave. A l'inverse des petits pois, les notes de la betterave sont logiquement plus sucrées. Une marque de niche a d'ailleurs su en faire la star d'un de ses parfums en la mariant parfaitement à l'odeur de l'encens et à celle de la résine ! 

D'autres légumes, comme le concombre, trouvent aussi leur place dans la composition de certains parfums. En plus d'être célèbre en cosmétiques pour ses vertus hydratantes et régénérantes (on vous voit d'ici avec vos rondelles de concombre sur les yeux !), le concombre connaît aussi un franc succès dans les parfums estivaux. Fraîche et verte, cette matière première naturelle apporte un côté vivifiant aux parfums.

Le retour en force des matières premières naturelles

Si aujourd'hui les légumes et les matières premières naturelles en général reviennent en force dans l'alimentation comme en parfumerie, c'est tout simplement parce qu'ils constituent une réponse évidente aux attentes des consommateurs. Depuis quelques années, ceux-ci expriment une nette préférence pour la naturalité, la durabilité, les circuits courts... D'ailleurs, pour tout comprendre aux parfums naturels c'est par ici que ça se passe !

Après les sillages puissants des années 80, puis le règne des parfums gourmands, floraux et sucrés, la parfumerie prend donc un nouveau tournant. Celui des parfums plus naturels, verts (dans tous les sens du terme, puisque c'est aussi une famille olfactive) et durables. Cette tendance se renforce avec l'arrivée de maisons de parfums comme Bastille, qui proposent des fragrances à 95% d'ingrédients naturels. 

 

Ce mouvement "green" pousse les marques à s'engager sur toute la chaîne de valeur : du concept du produit jusqu'au sourcing. Ce que recherchent les clients aujourd'hui, ce n'est pas seulement des parfums aux ingrédients naturels mais bel et bien des marques engagées, respectueuses de l'environnement, transparentes qui proposent des fragrances originales et qualitatives. 

En plein essor, ce mouvement n'est pas totalement dû à un hasard. Marqué par les nombreux enjeux écologiques et environnementaux du moment relayés sur les réseaux sociaux, les consommateurs ne veulent plus qu'une chose : acheter moins et surtout mieux.

Enfin, la pandémie de Covid-19 en 2020 est elle aussi responsable de l'essor de cette tendance. Elle a renforcé notre soif de transparence et notre besoin d'être rassurés, elle nous a orientés vers des produits plus sécurisants. Nous avons pris l'habitude d'étudier de beaucoup plus près les étiquettes de nos produits de beauté, parfums inclus - d'ailleurs, si vous êtes curieux voici un petit guide pour savoir les décrypter !

Toutes ces raisons nous laissent à penser que les légumes ont un un bel avenir dans la parfumerie. En effet, les concepts de naturalité et durabilité, très en vogue aujourd'hui peuvent s'exprimer à travers l'utilisation de ces nouvelles matières premières dans les parfums.

Les petits nouveaux du potager

Cet avenir est d'ailleurs en train de se dessiner progressivement. Toujours pour s'inscrire dans cette tendance "green" et répondre aux besoins de fraîcheur et d’authenticité des consommateurs, de nouvelles technologies d’extraction se sont développées pour capturer le parfum des légumes et ainsi élargir le champs des possibles en terme de créativité.

Symrise, fournisseur de parfums, d'arômes et de matières premières s'est lancé le défi de créer des alcoolats de légumes ultra concentrés. L'entreprise a mis au point une technologie d'upcycling de légumes assez innovante : le SymTrap™. 

SymTrap technologyPetite mise en contexte pour bien comprendre le processus : imaginez-vous dans votre cuisine à cuire des légumes vapeurs pour votre repas de ce soir. Quelques minutes plus tard de la vapeur d'eau s'échappe de votre casserole et des odeurs s'en dégagent.

L'entreprise reprend un peu ce type de cuisson. Elle capture les molécules les plus concentrées en odeurs dès les premières minutes de cuisson et après retrait de l'eau et ajout d'alcool, on obtient des essences puissantes et tout droit sorties de la nature.

 

Ainsi, elle a donné naissance à cinq alcoolats de légumes inédits : artichaut, chou-fleur, poireau, asperge et oignon (oui, vous avez bien lu).

artichaut

L'artichaut a un aspect vert tendre avec un fond charnu et charnel. Fleur de chardon appréciée à l'origine des rois, et particulièrement de Louis XIV pour son goût sucré obtenu grâce à la cynarine qu'elle contient, elle conquiert aussi le coeur des parfumeurs avec ses facettes crémeuses et ses notes vertes. Intéressant, l'artichaut apporte une touche pulpeuse et de la richesse à une composition.

 

chou-fleur

Le chou-fleur s'utilise en parfumerie pour ses facettes animales, musquées et puissantes prisé des marques 100% vegan. On le retrouve généralement dans les parfums pour sa facette piquante de graine de moutarde et ses nuances acidulées qui peuvent nous rappeler l'odeur du wasabi.  

Anecdote : le chou-fleur révèle aussi des tonalités torréfiées qui peuvent nous rappeler le pop-corn grillé

 

poireaux

Le poireau est un ingrédient intrigant car il se présente comme une alternative végane à l'ambre gris - un musc produit par le cachalot. Dans un parfum, le poireau révèle des notes humides ainsi que des nuances d'iode et de champignon. Il peut aussi parfaitement se marier avec les fruits exotiques et apporter une touche surprenante à certains accords - notamment les chyprés ou les fougères - grâce à sa puissance et sa profondeur.

 

aspergesL'asperge quant à elle, nous promet l'odeur d'un printemps vert et floral. Son profil olfactif est lui aussi très intéressant. Elle est la multi-tasking du potager.

Ses notes terreuses, vertes et salées voire même poudrées (proche de l'odeur du patchouli), donnent généralement un aspect nouveau aux parfums floraux ou boisés. Ses facettes noisettes et céréalières apportent leur petit grain de folie à certaines compositions.

 

oignons

Insoupçonnable dans la composition d'un parfum, l'oignon se révèle être le plus caliente de la bande.

Il apporte un aspect sensuel, aphrodisiaque et puissant à une composition grâce à ses tons soufrés, piquants, pétillants ainsi que ses facettes sucrées et acidulées. Enfin, associé aux fruits exotiques, l'oignon prend son rôle de réhausseur d'acidité très au sérieux.

Ces matières premières naturelles inédites permettent donc d’amener de la "texture" à une composition ou d’apporter de nouvelles facettes à des ingrédients plus classiques.

Un nouveau terrain de jeu pour les parfumeurs

Nous avons interviewé Caroline Dumur, maître parfumeur qui a signé notre parfum Demain Promis et Anne-Laure Pouquet, évaluatrice chez la maison de composition IFF, pour nous raconter la façon dont elles utilisent les légumes en parfumerie. 

Avez-vous déjà travaillé avec des notes légumes dans la composition d'un de vos parfums ? Si oui, quel a été le légume le plus surprenant que vous ayez utilisé ?

Caroline Dumur - Je n’ai pas encore signé de parfum « légume » en tant que tel, mais j’adore travailler ces ingrédients et leurs facettes vertes et florales - comme dans le prochain parfum Bastille, qui a une facette fenouil. Chez IFF, nous avons également créé Lady Million Lucky, où la betterave joue un rôle dans la composition du parfum même si elle n’est pas forcément mise en avant par la marque. C’est un des légumes qu’on retrouve le plus souvent en parfumerie, avec de belles notes terreuses qu’on associe souvent à la framboise.

Anne-Laure Pouquet - On travaille le sujet depuis longtemps, mais la tendance s’est clairement accélérée après le Covid, qui nous a rendus plus curieux de ces sujets. Pourtant, au départ des projets on met encore rarement les légumes dans les pyramides olfactives de nos créations… C’est difficile à « claimer », c’est-à-dire à revendiquer auprès des consommateurs - alors qu’on n’a aucun mal à parler des fruits par exemple. 

Caroline Dumur - C’est le problème : même si un légume est tout aussi noble qu’un abricot par exemple, il risque de renvoyer dans l’imaginaire à quelque chose d’assez alimentaire. C’est surtout le cas des notes souffrées ou alliacées (poireau, ail, oignon, ciboulette…) qui ont leur importance dans certaines formules, mais ne sont pas faciles à revendiquer. 

Les utilisez-vous comme matières premières principales, ou plutôt pour apporter de la texture, des nuances à une composition ?

Caroline Dumur - Je les utilise souvent pour facetter les parfums fleuris, car il y a une vraie parenté entre fleurs et légumes. Par exemple, j’aime renforcer l’effet fruité de la rose en utilisant la note diméthyl sulfide, qui existe à l’état naturel dans de nombreux fruits et qui apporte un côté légume. 

Cela dit les légumes peuvent aussi apporter un côté animal… comme par exemple lorsqu’on travaille le chou kale. En étudiant cet ingrédient, j’y ai d’ailleurs retrouvé une matière première commune avec la jacinthe : il y a donc vraiment un fil à tirer entre légumes est notes florales ! C’est aussi le cas du champignon, qui a quelque chose de commun avec la lavande. 

Anne-Laure Pouquet - On pense aussi à la rose, qui peut évoquer l’artichaut, voire au poivron qui apporte de la rondeur dans les notes rosées. Les légumes nous permettent d’être novateurs dans la réinterprétation de grands thèmes floraux - car le métier de parfumeur, c’est aussi bien souvent « réinventer la roue » ! Quitte à aller loin : nous travaillons en ce moment une note pomme de terre & patchouli, deux ingrédients qui se marient parfaitement. 

Ces notes légumes sont-elles naturelles ou synthétiques ? 

Caroline Dumur - Pour beaucoup il s’agit d’accords, c’est à dire de mélanges de plusieurs notes à la fois naturelles et synthétiques qui créent ensemble cohérent. C’est le cas du poivron par exemple, que je recrée en utilisant une note rosée métallique, un côté poivré terpénique, et aussi une facette aqueuse - le poivron est un légume rempli d’eau, ça se sent ! 

Pour le petit pois, un accord classique en parfumerie, j’utilise 4 ou 5 notes vertes et pyrazinées, et de la menthe. Les notes légumes naturelles sont limitées aux graines, que l’on peut extraire naturellement : par exemple le fenouil, la carotte ou encore le céleri (utilisé dans Pleine Lune chez Bastille). 

Anne-Laure Pouquet - De mon côté, j’adore le céleri rave : il rappelle des notes à la fois jasmin et coco. C’est un ingrédient incroyable.

Que vous évoquent les légumes dans une fragrance ? 

Caroline Dumur et Anne-Laure Pouquet - Essentiellement la nature, et la végétalité ! Ces notes sont d’ailleurs généralement jouées en tête ou en coeur des parfums, avec les notes florales. Pour certaines créations, il s’agit aussi de surprendre, de créer un clash grâce à une matière différente et peu sentie, qu’on utilise pour choquer un peu.

Pensez-vous que ces nouvelles notes vont être "assumées" par les marques et devenir des arguments de vente auprès des consommateurs ?

Anne-Laure Pouquet - À part certaines marques qui osent le faire, peu revendiquent les notes légumes. Par ailleurs, cela dépend aussi des ingrédients : le concombre, la feuille de tomate ou encore la rhubarbe sont des notes plus faciles à revendiquer. Le chou-fleur, c’est forcément plus compliqué… 

Caroline Dumur - J’y crois ! Les notes vertes évoquent la renaissance, et reviennent traditionnellement après les guerres et les crises. Elles ont par exemple été très à la mode dans les années 30. Avec la pandémie que nous venons de traverser, les clients ont envie de revenir vers quelque chose de plus végétal, cela ouvre la voie. Et puis, elles sont très à la mode en Asie…

Comment avez-vous utilisé ces notes dans la dernière création Bastille, qui sera bientôt dévoilée ? 

Caroline Dumur - Dans cette composition verte éclatante, j’ai utilisé le côté anisé et addictif du fenouil pour adoucir l’ensemble. Je l’ai marié avec un départ fruité évoquant la poire et l’ananas, pour facetter la note. J’ai également utilisé du basilic pour arrondir l’armoise. L’ensemble est magnifique !

Un grand merci à Caroline Dumur et Anne-Laure Pouquet pour cette interview aux notes très potagères !

Le petit mot de la fin : même si l’engouement actuel pour le naturel, le bio et le durable est réel et ne peut que jouer en la faveur de cette innovation, on ne sait pas si les légumes deviendront les matières premières principales de demain ou si cette nouvelle palette sera plutôt utilisée pour ajouter des effets de texture, de nuances, sans qu'elle ne soit nécessairement mentionnée explicitement dans la composition. Ça peut faire un peu peur les légumes, on peut comprendre.

Chez Bastille, nous pensons que ces nouvelles matières premières naturelles représentent une grande opportunité pour les parfumeurs de laisser parler encore plus leur imagination et leur créativité. Elles sont finalement un nouveau terrain de jeu et nous trouvons ça passionnant de pouvoir intégrer ces ingrédients surprenants à nos parfums ! Si vous êtes prêt(e) à sauter le pas, commencez par Pleine Lune, notre floral des grands soirs à la facette de céleri : 

 

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Sources : anthopom.com, thenewmeninthecity.com

Photos : Inconnu, Enrico Sottocorna sur Unsplash, Eva Elijas sur Pexels, Inconnu


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